La mascotte olympique, Shuss
Alors que nous étions en vacances à Menton en août 1967, mon épouse a découvert, dans un magazine féminin, une publicité de lancement pour une mascotte olympique. Il s’agissait d’un dauphin en hommage au Dauphiné, région dans laquelle allait se tenir les Xèmes Jeux Olympiques d’Hiver de Grenoble en 1968.
Fabricants de jouets en tissus bourrés, le personnage nous a séduit. Mon épouse a donc, sitôt rentrés, fait acte de candidature pour en obtenir l’exclusivité de fabrication dans la branche qui était la nôtre.
Deux mois plus tard, alors qu’aucune réponse ne nous avait été faite depuis le Dauphiné, c’est une agence parisienne qui nous a contactés pour réaliser la mascotte olympique, qui serait un skieur «tout shuss» et pas du tout le gentil dauphin. Deux «promoteurs» étaient alors en concurrence, c’est le second qui a gagné.
En donnant à l’ORTF le feu vert pour promouvoir le Shuss en tant que «personnage emblématique des JO», le 1er ministre, Georges Pompidou a tranché. En 1968, la publicité de marque n’était pas encore autorisée à la télévision, l’ORTF n’a donc eu l’autorisation que d’utiliser le dessin du personnage, et non pas le personnage lui-même, c’est à dire une image statique telle qu’on a pu la voir sur nos sachets d’emballage.
Rencontres, fourniture de dessins, proposition de maquettes…, de retouches en concessions, notre Shuss est né.
Le problème, pour l’agence agréée des JO, a été de trouver un licencié capable de réaliser la «vraie» mascotte créée «en chiffon» par Madame Aline Lafargue. Madame Lafargue avait rapidement cédé les droits au COJO qui en avait lui-même délégué l’exploitation à l’agence en question dont j’ai oublié le nom.
Cette agence avait déjà des licenciés pour différentes représentations de Shuss: petites mascottes en plastique moulé, personnages décors à poser, gros gonflables en plastique soudé, couvertures de cahier, badges et cartables, cartes postales, assiettes et couverts et bien d’autres encore. Mais il lui fallait une entreprise capable de la réaliser en volume et en tissu. ce qu’elle n’avait pas encore trouvé. Elle a alors pensé au «jouet bourré» et récupéré notre adresse auprès de sa consoeur.
Notre problème, à nous fabricants, a été de réaliser la forme imposée, sans avoir à rembourrer de tissu. Techniquement, ça n’aurait pas été faisable. D’astuces en bricolages, nous en sommes arrivés assez vite à nos fins:
- pour la tête, une boule de boulier pour les premiers exemplaires, un moulage de polystyrène plus léger et plus ovoïde vers l’arrière pour les suivants.
- Pour le corps, un fil de fer plié en épingle à cheveux et replié en «Z», le haut de l’épingle enfilé dans la tête, la partie basse repliée et coincée dans la spatule du ski, le corps en «Z» épaissi de deux petits rectangles de carton.
- Pour le ski, un rectangle d’isorel pour la semelle, le même coupé en deux au 1/3 de sa longueur pour le dessus, le bas de notre épingle s’introduisant dans la coupure.
Ceci pour l’armature. - Pour l’habillage, notre atelier étant proche de la ville de Troyes, nous avons fait appel à Babygro et Absorba qui fabriquaient déjà leurs grenouillères pour bébés dans un tissu extensible tricoté, le «stretch», qui nous a bien aidé.
Il restait à positionner les décors.
- Les bandes blanches de la combinaison? Du ruban de stretch étiré et collé au latex!
- Les yeux? Des rondelles de feutre découpées, également collées!
- Le plus artisanal peut-être : les anneaux olympiques. Pas facile d’imprimer un tissu élastique qui s’étire dans tous les sens pour être positionné! Alors nous l’imprimions en dernier, à l’aide d’un morceau de tube métallique du diamètre nécessaire, que l’on trempait d’abord dans une colle textile, puis dans une petite boîte plate en carton qui contenait de la poudre de flocage en coton. Nous répétions 5 fois le geste, manuellement, ce qui explique l’irrégularité des anneaux.
Artisanal? Pour sûr! C’était fin 67 et tout début 68. La France n’était pas encore «mondialisée», tout juste révoltée. Pourtant, malgré les petits moyens que l’on avait mis en oeuvre, 84000 exemplaires sont sortis de nos ateliers. Pour l’époque, c’était un énorme tirage. Nous nous attendions à une demande de seulement 10000 personnages.
© Par André Thiennot, ancien fabricant de « jouets bourrés » (Tieno)